Mes doigts
Mes doigts, touchez mon front et cherchez, là,
Les vers qui rongeront, un jour, de leur morsure,
Mes chairs ; touchez mon front, mes maigres doigts, voilà
Que mes veines déjà, comme une meurtrissure
Bleuâtre, étrangement, en font le tour, mes las
Et pauvres doigts - et que vos longs ongles malades
Battent, sinistrement, sur mes tempes, un glas,
Un pauvre glas, mes lents et mornes doigts !
Touchez, ce qui sera les vers, mes doigts d'opale,
Les vers, qui mangeront, pendant les vieux minuits
Du cimetière, avec lenteur, mon cerveau pâle,
Les vers, qui mangeront et mes dolents ennuis
Et mes rêves dolents et jusqu'à la pensée
Qui lentement incline, à cette heure, mon front,
Sur ce papier, dont la blancheur, d'encre blessée,
Se crispe aux traits de ma dure écriture.
Et vous aussi, mes doigts, vous deviendrez des vers,
Après les sacrements et les miséricordes,
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
Comment! | Vote! | Copy!

Avec le même amour que tu me fus jadis
Avec le même amour que tu me fus jadis
Un jardin de splendeur dont les mouvants taillis
Ombraient les longs gazons et les roses dociles,
Tu m'es en ces temps noirs un calme et sûr asile.
Tout s'y concentre, et ta ferveur et ta clarté
Et tes gestes groupant les fleurs de ta bonté,
Mais tout y est serré dans une paix profonde
Contre les vents aigus trouant l'hiver du monde.
Mon bonheur s'y réchauffe en tes bras repliés
Tes jolis mots naïfs et familiers,
Chantent toujours, aussi charmants à mon oreille
Qu'aux temps des lilas blancs et des rouges groseilles.
Ta bonne humeur allègre et claire, oh ! je la sens
Triompher jour à jour de la douleur des ans,
Et tu souris toi-même aux fils d'argent qui glissent
Leur onduleux réseau parmi tes cheveux lisses.
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
Comment! | Vote! | Copy!

La Grand'Place
Les magasins de la Grand'Place
Mirent leur deuil et leur passé,
Et l'or de leur fronton usé,
Dans les égouts qui les enlacent.
Un drapeau pend comme un haillon,
Au pignon rouge de la Banque ;
L'heure est vieillotte : une dent manque
Au râtelier du carillon.
La pluie, à tomber là, s'ennuie,
Tout son de cloche y semble un glas,
Tout mouvement y semble las,
L'heure qui vient vaut l'heure enfuie.
La façade du médecin
Regarde celle du notaire,
Voici le porche autoritaire
Du collège diocésain.
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
Comment! | Vote! | Copy!

Soir religieux (IV)
Le déclin du soleil étend, jusqu'aux lointains,
Son silence et sa paix comme un pâle cilice ;
Les choses sont d'aspect méticuleux et lisse
Et se détaillent clair sur des fonds byzantins.
L'averse a sabré l'air de ses lames de grêle,
Et voici que le ciel luit comme un parvis bleu,
Et que c'est l'heure où meurt à l'occident le feu,
Où l'argent de la nuit à l'or du jour se mêle.
A l'horizon, plus rien ne passe, si ce n'est
Une allée infinie et géante de chênes,
Se prolongeant au loin jusqu'aux fermes prochaines.
Le long des champs en friche et des coins de genêt.
Ces arbres vont - ainsi des moines mortuaires
Qui s'en iraient, le coeur assombri par les soirs,
Comme jadis partaient les longs pénitents noirs
Pèleriner, là-bas, vers d'anciens sanctuaires.
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
Comment! | Vote! | Copy!

J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie
J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie
Comme un soleil fané avant qu'il ne fût nuit,
Le jour qu'avec ses bras de plomb, la maladie
M'a lourdement traîné vers son fauteuil d'ennui.
Les fleurs et le jardin m'étaient crainte ou fallace ;
Mes yeux souffraient à voir flamber les midis blancs,
Et mes deux mains, mes mains, semblaient déjà trop lasses
Pour retenir captif notre bonheur tremblant.
Mes désirs n'étaient plus que des plantes mauvaises,
Ils se mordaient entre eux comme au vent les chardons,
Je me sentais le coeur à la fois glace et braise
Et tout à coup aride et rebelle aux pardons.
Mais tu me dis le mot qui bellement console
Sans le chercher ailleurs que dans l'immense amour ;
Et je vivais avec le feu,de ta parole
Et m'y chauffais, la nuit, jusqu'au lever du jour.
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
Comment! | Vote! | Copy!

Le masque
La couronne formidable des rois
En s'appuyant de tout son poids
Sur ce masque de cire
Semblait broyer et mutiler
L'empire.
Le pâle émail des yeux usés
S'était fendu en agonies
Minuscules, mais infinies,
Sous les sourcils décomposés.
Le front avait été l'éclair,
Avant que les pâles années
N'eussent rivé les destinées,
Sur ce bloc mort de morne chair.
Les crins encore étaient ardents,
Mais la colossale mâchoire,
Mi-ouverte, laissait la gloire
Tomber morte d'entre les dents.
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
Comment! | Vote! | Copy!

Soir d'automne
Des nuages, couleur de marbre,
Volent, à travers le ciel fou ;
' Eh ! la lune, garde à vous ! '
L'espace meugle et se déchire.
Sous l'écorce par les fentes
On écoute pleurer et rire
Les arbres.
' Eh ! la lune, garde à vous ! '
Votre face de cristal blanc
Va choir, morte, parmi l'étang,
Cassée aux angles des vaguettes ;
Les taillis plient comme des baguettes ;
L'ouragan pille aux cabanes cognées
Le chaume immense, par poignées.
C'est les noces du vent et de l'automne.
' Eh ! la lune, garde à vous ! '
Le vent est ce cavalier lourd
Qui s'est soûlé, ce soir, et fait l'amour
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
Comment! | Vote! | Copy!

Les cierges
Ongles de feu, cierges ! - Ils s'allument, les soirs,
Doigts mystiques dressés sur des chandeliers d'or,
A minces et jaunes flammes, dans un décor
Et de cartels et de blasons et de draps noirs.
Ils s'allument dans le silence et les ténèbres,
Avec le grésil bref et méchant de leur cire,
Et se moquent - et l'on croirait entendre rire
Les prières autour des estrades funèbres.
Les morts, ils sont couchés très longs dans leurs remords
Et leur linceul très pâle et les deux pieds dressés
En pointe et les regards en l'air et trépassés
Et repartis chercher ailleurs les autres morts.
Chercher ? Et les cierges les conduisent ; les cierges
Pour les charmer et leur illuminer la route
Et leur souffler la peur et leur souffler le doute
Aux carrefours multipliés des chemins vierges.
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
Comment! | Vote! | Copy!

Celle du jardin
Je vis l'Ange gardienne en tel jardin s'asseoir
Sous des nimbes de fleurs irradiantes
Et des vignes comme en voussoir ;
Auprès d'elle montaient des héliantes.
Ses doigts, dont les bagues humbles et frêles
Entouraient la minceur d'un cercle de corail,
Tenaient des couples de roses fidèles
Noués de laine et scellés d'un fermail,
Un calme, imprégné d'or, tressait
Un air filigrané d'aurore,
Autour de son front pur, qui s'enfonçait
Moitié dans l'ombre encore.
Elle portait son voile et ses sandales,
Tissés de lin, mais sur les bords,
En rinceaux clairs, les trois vertus théologales
Etaient peintes, avec des coeurs feuillagés d'ors.
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
Comment! | Vote! | Copy!

Les morts
En ces heures de soir où sous la brume épaisse
Le ciel voilé s'efface et lentement s'endort,
Je marche recueilli, mais sans vaine tristesse,
Sur la terre pleine de morts.
Je fais sonner mon pas pour qu'encore ils l'entendent
Et qu'ils songent, en leur sommeil morne et secret,
A ceux dont la ferveur et la force plus grandes
Refont le monde qu'ils ont fait.
lis ne demandent pas qu'une douleur oisive
Se traîne avec des pleurs autour de leurs cercueils.
Ils comprennent la part que l'oeuvre successive
Fait à la joie et à l'orgueil.
Leur esprit est en nous, mais non pas pour nous nuire
Et nous pousser, à contre-jour, comme à tâtons.
Leur voix est douce encor alors qu'on l'entend bruire
Mais que c'est nous, nous qui chantons.
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
Comment! | Vote! | Copy!
